SOCIAL TRAITRE N°3: Editorial

Rions beaucoup, rions de tout

Le travail social est-il une chose sérieuse? Cela nous semble être une bonne question. Peut- être même la première à se poser avant d'endosser la panoplie technique de l'intervenant. Car si le travail social est une chose sérieuse, le travailleur social devrait donc y participer sérieusement. Ce qui n'est pas chose aisée.

Difficile, en effet, d'être grave et pénétré d'importance quand on travaille au placement d'un enfant ou qu'on aide à la gestion d'un R.M.I. Que celui qui ne s'est jamais senti ridicule en tant que travailleur social nous jette la première pierre. Ridicule et impuissant, comme un Don Quichotte diplômé et salarié. Comme un médecin au front, dans la boue et les corps martyrisés, continuant de dispenser aux grands blessés des pansements de fortune sur des fractures ouvertes. Ridicule et impuissant, le travailleur social n'est pas sérieux. Il n'est pas inutile pour autant, bien au contraire. Il confère au sacrifice de la sienne la dignité de dragons aux moulins à vent auxquels il s'attaque.

Le travail social est une chose trop compliquée pour être sérieuse. Une chose sérieuse a un sens immédiat; elle n'a pas besoin d'être questionnée et se dispense d'avis contradictoires et de conceptions multiples. Allumer un feu est une chose sérieuse car le sens de cette action est singulier. Il n'y a pas de feu, il faut un feu, allumons un feu! Il est impossible d'appliquer sérieusement cet enchaînement logique au travail social. Essayons toujours: il n'y a pas de travail social, il faut du travail social, faisons du travail social... Non, décidément, cela n'est pas sérieux.

Le sens du travail social, puisque c'est de ça qu'il s'agit, ne se laisse pas aisément saisir. Nous autres, à Social Traitre, sommes tout autant allergiques au gaucho laxiste définitif posant l'amalgame entre travail social et contrôle social, qu'au samaritain caritatif trimballant sa vocation de héros social dans les soirées branchées. Le travail social nous semble être la somme des contradictions et des ambiguïtés de notre société, un fourre-tout à la fois honteux et glorieux où se rencontrent et se percutent la solidarité et la stigmatisation, la volonté d'émancipation et celle de contrôle des populations, celle de punir les pauvres et celle d'en « finir » avec la pauvreté... Le travail social, c'est le pire et le meilleur embrassés. Nous affirmons en ricanant qu'on ne peut saisir ces espaces entre-pénétrés en se prenant au sérieux. On ne peut être travailleur social sans goûter l'amère plaisanterie de la complexité. Le travail social prête à rire en vérité. Et si comme l'affirme Kundera, « L'humour [...] découvre le monde dans son ambiguïté morale et l'homme dans sa profonde incompétence à juger les autres », Social Traitre n'a pas fini de rigoler.

L'équipe des directeurs associés.

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